Si l'oeuvre éblouit, l'homme était détestable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l'approchaient les pires insanités. Drogué jusqu'à la moelle, dandy halluciné, il n'eut jamais d'autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu'il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l'ignoble et le sublime. Il a écrit cent poèmes qu'il a jetés à la face de l'humanité. Cent fleurs du mal qui ont changé le destin de la poésie française.
De Simone Veil, on réduit trop souvent la biographie à quelques dates phares, dont, évidemment, celles du débat sur l'IVG, en 1974. De même de son image et des rares signes électifs qui l'incarnent aux yeux des Français : un chignon fidèle qu'elle n'acceptera de défaire qu'une seule fois en public, un immuable tailleur Chanel, dont ne varie que la couleur, un collier de perles porté sur une lavallière. A la différence sans doute des simplifications biographiques, cette austérité est délibérée. Elle est aussi comme la cuirasse d'une femme parvenue au sommet de l'Etat, soucieuse d'opposer à la curiosité du public et des journalistes une image qui n'offre aucune prise, aucune perspective personnelle.
Tout au long de sa vie publique, Simone Veil a soigneusement protégé son intimité familiale et amicale. Antoine, son mari, apparaît parfois au cours de ses campagnes, mais toujours saisi comme une apparition « officielle ». De même de ses enfants, photographiés publiquement, par exemple au ministère de la Santé juste avant les débats sur l'avortement, autour d'une table qui réunit la ministre et son cabinet.
Certes, depuis sa retraite politique, avec le succès de ses mémoires, l'entrée à l'Académie française et la Panthéonisation, la multiplication des hommages de toutes natures, se sont multiplié les incursions médiatiques dans la sphère privée de celle qui est restée si longtemps une des personnalités préférées du public. Simone Veil ne s'y est jamais prêtée volontiers. Aujourd'hui, ses deux fils ont accepté pour la première fois que soient publiées autant de photographies pour la plupart inédites.
Cet album fait comprendre quelles étaient les racines de ses engagements, les figures familières, parents, frère et soeurs, enfants et petits-enfants, amis, lieux aimés où elle se ressourçait. Commentés par ceux-là mêmes qui lui furent si chers, ses deux fils, Jean et Pierre François.
Paula Modersohn-Becker voulait peindre et c'est tout. Elle était amie avec Rilke. Elle n'aimait pas tellement être mariée. Elle aimait le riz au lait, la compote de pommes, marcher dans la lande, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, être nue au soleil, lire plutôt que gagner sa vie, et Paris. Elle voulait peut-être un enfant - sur ce point ses journaux et ses lettres sont ambigus. Elle a existé en vrai, de 1876 à 1907.
" C'est le prince du En Même Temps, cette stratégie qui, quoi qu'on pense n'est pas moderne : c'était déjà la devise du XVIIIe siècle. Musicien, courtisan, financier, promoteur immobilier, industriel, espion, armateur, auteur d'oeuvres tantôt géniales, tantôt très oubliables, éditeur de Voltaire, il devient révolutionnaire malgré lui. Trop gourmand pour ne pas TOUT vivre à la fois. Et trop joyeux de toutes ces aventures pour en ressentir de la fatigue. Comme l'écrivait Fernando Pessoa, n'être qu'un est une prison."
E.O.
Fasciné par la trajectoire de Stephen Crane (1871-1900), comète rimbaldienne de la littérature américaine, mort de la tuberculose à 28 ans, Paul Auster remet en lumière sa vie et son oeuvre, lui rendant ainsi un hommage éclatant, celui d'un "vieil écrivain empli d'admiration pour le génie d'un jeune écrivain".
D'abord journaliste à New York, Crane commence à écrire en 1893 et, après de nombreux revers, connaît le succès avec "L'Insigne rouge du courage". Se débattant toute sa vie avec le manque d'argent et les dettes, Crane travaille sans relâche, couvre divers conflits, écrit articles, poèmes, nouvelles et romans. Il s'installe finalement avec sa compagne en Angleterre, où il devient l'ami de Henry James et de Joseph Conrad, qui dira de l'une de ses oeuvres : C'est la vérité même de l'art.
« Je n'ai rien d'héroïque. Je ne suis que le maillon final de la longue, très longue chaîne de braves Hollandais qui ont fait ce que j'ai fait. »
Pendant deux ans, Miep Gies a aidé Anne Frank et sa famille à se cacher des nazis dans un immeuble d'Amsterdam. C'est également grâce à elle que le journal d'Anne est parvenu jusqu'à nous, puisqu'elle l'a conservé et caché après l'arrestation de la jeune fille, avant de le remettre à son père, Otto Frank.
Dans ce témoignage historique émouvant, elle raconte comment, avec quelques autres, elle a permis à la famille Frank de survivre pendant sa clandestinité. Elle évoque aussi, toujours avec pudeur, le quotidien d'une résistante lors de l'occupation allemande avec ses doutes, ses craintes et ses rêves, et sa participation au devoir de mémoire une fois la guerre terminée. Un document poignant à la valeur inestimable.
" Blondin n'a pas disputé de courses cyclistes. Haralambon si. L'un et l'autre prouvent que "le vélo" est un mystère subtil. "
Bernard Chambaz
Né dans une famille de cyclistes, Frank Vandenbroucke est un gamin du Hainaut dont la vie a été façonnée pour et par le vélo. Au seuil de l'an 2000, après un parcours tumultueux, il est troisième coureur mondial. Mais l'enfant terrible du cyclisme belge ne résiste pas au dopage qui ne cesse de s'étendre dans le cyclisme professionnel. Dès lors sa carrière est émaillée de poursuites judiciaires et d'exclusions. Suicides manqués, drogue, déboires amoureux : tout se conjugue contre lui. Vdb meurt brusquement à 34 ans, physiquement brisé.
Ce récit d'une grande force, premier livre d'Olivier Haralambon, décrit de l'intérieur les années au cours desquelles le cyclisme est passé de la légende au business. Un exercice d'admiration, mais aussi un travail littéraire sur le double et l'expérience des limites.
En 1941, alors qu'en Europe la guerre et les nationalismes font des ravages, Stefan Zweig, exilé au Brésil, trouve en Montaigne un « ami indispensable », dont les préceptes de tempérance et de modération lui paraissent plus que jamais nécessaires. Selon Zweig, « pour que nous puissions appréhender l'art et la sagesse de vivre de Montaigne [...] il fallait que survienne une situation similaire à celle qu'il avait connue. »
De son propre aveu, Zweig n'était pas à même d'apprécier pleinement le génie de Montaigne lorsqu'il le découvrit à vingt ans. C'est en les relisant à travers le prisme de l'expérience qu'il mesure véritablement tous les enjeux des Essais. Laissant parler son admiration pour l'auteur, il en dresse une biographie émue et passionnante, dans laquelle il livre, en creux, son propre portrait à la veille de sa mort.Préface d'Olivier Philipponnat.Traduit de l'allemand par Corinna Gepner.
« En 1965, un garçon âgé de 20 ans qui se faisait appeler Christophe et ressemblait à James Dean devint célèbre grâce à une chanson au doux prénom de fille : Aline. La chanson, vendue à plus d'un million d'exemplaires, devint le slow de l'été et le fit entrer dans la cour des icônes yéyés. Il poursuivit la route qu'il s'était choisie, celle de la musique et de la liberté, tombant sur les tubes sans les chercher, comme par magie. On lui doit notamment Les marionnettes, Les mots bleus, Les paradis perdus, Daisy, Sénorita, Succès fou, etc.
En 2018, j'eus la chance de le croiser. Il était alors une star au parcours incroyable, une légende. Il m'a ouvert sa porte et son coeur, et je suis entrée. Alors ma vie a changé. Ce fut immédiat. Il voulait qu'ensemble nous écrivions. Mais pas seulement.
Son quotidien tout entier tournait autour de la musique. Ses chansons, c'était sa vie.
Pour créer, il s'entourait de filles. Pour lui, une femme était ce qu'il y a de plus beau sur terre. Sans les filles, disait-il, il n'y aurait pas de musique. Il les aimait tellement qu'il voulait toutes les attraper.
Au lendemain de sa mort, j'ai commencé à noter nos souvenirs. Je ne voulais pas l'oublier. Je ne voulais rien oublier. Je voulais le garder, intact, dans ma mémoire. Et j'ai pensé qu'un livre était l'endroit idéal où le garder vivant.
Le voici tel qu'il m'est apparu, tel que je l'ai connu. » Bénédicte La Capria
« L'amour et la fidélité qu'on nous témoigne ici sont la preuve éclatante que nous sommes en vie. »
Nous savons tous qui est Anne Frank, mais nous connaissons moins ses proches. Ses grands-parents, ses parents, ses oncles, tantes et cousins ont eu une vie avant et après elle, ont connu l'amour, les épreuves, le succès et les drames. Ainsi se dessine, génération après génération, le portrait d'une famille juive ancrée dans une époque faste et éclairée, jusqu'au moment où tout a basculé.
Dans ce document poignant, à partir d'archives privées (lettres, photos, poèmes), l'écrivaine Mirjam Pressler nous raconte la destinée de la famille Frank qui, malgré la séparation, a su rester unie dans les pires moments de son histoire et de l'histoire du monde.
« Rosa s'empourpre, s'étrangle, voudrait le gifler. Landseer, passionné mais prudent, s'empare de ses mains et les porte contre son coeur.
- Une lionne, une lionne dans un corps d'oiseau, murmure-t-il. »
Vestale de l'art, égérie du féminisme, éprise de liberté et d'idéal, Rosa Bonheur s'imposa comme la plus célèbre artiste animalière au XIXe. Elle connut une carrière fulgurante et vécut un amour fou avec Sir Edwin Landser, le plus grand peintre et sculpteur britannique de son temps, qui nous est pour la première fois révélé.
De Paris à Londres, de l'Écosse à la French Riviera, des abattoirs et bas-fonds de la capitale aux ateliers d'artistes et salons mondains jusqu'à son « sanctuaire » à Thomery, Patricia Bouchenot-Déchin nous emporte sur les traces de Rosa Bonheur au fil d'un roman virevoltant qui fait revivre l'artiste et la femme.
Une fresque haute en couleur qui nous plonge dans la grande Histoire et l'intimité de Rosa Bonheur, un être de passion et de conviction.
Elles sont trois sœurs : Madeleine, Denise et Simone Jacob, rescapées des camps de la mort. Madeleine, dite Milou, et Simone déportées avec leur mère Yvonne parce que juives à Auschwitz et à Bergen-Belsen ; Denise, à Ravensbrück. Rapatriées en mai 1945, Milou et Simone apprennent à Denise, déjà rentrée, que leur mère est morte d'épuisement. De leur père, André, et de leur frère Jean, elles espèrent des nouvelles. Déportés en Lituanie, ils ne reviendront jamais.
Pour les sœurs Jacob, le retour est tragique. À la Libération, on fête les résistants, mais qui a envie d'écouter le récit des survivants ? Milou et Simone ne rencontrent qu'indifférence, incompréhension et gêne, alors elles se taisent. Mais, peu à peu, la vie reprend ses droits. Les jeunes femmes semblent heureuses quand, en 1952, Milou meurt dans un accident de voiture. Denise et Simone restent les deux seules survivantes d'une famille décimée. Plus que jamais inséparables.
Dans ce récit poignant, Dominique Missika éclaire la jeunesse des filles Jacob, toutes trois si belles et si vaillantes, et raconte ce qui a souvent été tu : la difficulté de certains déportés à trouver une place dans la France de l'après-guerre. À partir de ses souvenirs personnels et d'archives inédites, l'auteure, qui a été proche de Simone Veil devenue une icône républicaine, et de Denise Vernay, combattante inlassable de la mémoire de la Résistance et de la déportation, dévoile ici un pan intime et méconnu de l'histoire de ces sœurs admirables.
Dominique Missika est historienne. Elle a publié plusieurs ouvrages sur la France sous l'Occupation, dont L'Institutrice d'Izieu (Seuil, 2014).
« Il y a un mystère Zweig : j'ai écrit ce livre pour tenter de le percer. Comment un écrivain aussi secret et discret a-t-il été capable d'allumer un feu chez ses créatures romanesques et de le faire partager à ses lecteurs ? Ce sont les origines de ce feu que j'ai cherché à découvrir à travers les péripéties de sa vie. Je suis allée à Vienne et à Salzbourg, dans cette Autriche finissante avec laquelle Zweig a entretenu des rapports si complexes d'amour-haine, puisque ce pays a été sa véritable patrie et la source de tant de souffrances. Je suis allée au Brésil, à Petropolis, haut lieu de son suicide et de son désespoir. Homme de passion, sous son élégance MittelEuropa, c'est un écrivain qui se livre difficilement. Il faut partir à sa recherche, décrypter ses amours et ses amitiés. Ce parfait homme de lettres en apparence est un artiste qu'attire la foudre - les folies d'Amok ou les tabous de la vie des femmes, que celles-ci osent à peine s'avouer à elles-mêmes, leurs voluptés secrètes. Ami de Romain Rolland, d'Emile Verhaeren, de Thomas Mann, de Joseph Roth, tous grands Européens qui croyaient comme lui à la paix, à l'amitié, dans un monde ouvert et concilié, cet écrivain raffiné, choyé par les élites, aurait pu demeurer comme l'archétype d'une civilisation disparue. Son prodige est d'avoir réussi à conquérir aujourd'hui un si vaste public. Loin de rejoindre dans les bibliothèques les auteurs à demi oubliés de son temps, Zweig rayonne. Il continue de séduire. On aime son style, rapide et sûr. Sa compassion, inégalable. Sa sensibilité d'écorché vif. Peut-être aussi les lueurs sombres, les fumées délétères de son oeuvre, qui correspondent si bien à nos angoisses, à nos tourments contemporains. Zweig était lui-même biographe : auteur de livres qui sont des modèles du genre, Marie Stuart ou Marie-Antoinette. C'était pour moi une dette d'écrire à mon tour sa biographie : tenter de rendre vivant cet homme de passion dans une biographie passionnée. »
Zweig aimait Freud ; Freud appréciait Zweig. L'auteur de «La Confusion des sentiments» lui rendit hommage en 1932 avec ce portrait saisissant qui célèbre la puissance de l'esprit.
L'ailleurs : cette petite distance qu'il faut trouver pour rester profondément humain.Je suis parfois un innocent, parfois un monstre.
Tout ce qui est entre les deux ne m'intéresse pas.
Tout ce qui est entre les deux est corrompu.
Seuls l'innocent et le monstre sont libres.
Ils sont ailleurs.
Charles Darwin connaissait par coeur ses romans, Winston Churchill la lisait pendant le Blitz et Virginia Woolf la comparaît à Shakespeare. Aujourd'hui encore, Jane Austen (1775-1817) suscite dans le monde entier une véritable passion. Quel est son secret ?
Il y a dans ses romans beaucoup de la vie qui a été la sienne : la campagne du Hampshire, le monde corseté de la gentry, les bals dans les manoirs, les jeunes filles promises au mariage, la domination des hommes, ces héritiers qui ont tous les droits. Quand Jane Austen commence à écrire, ses manuscrits essuient refus sur refus. Mais la jeune fille n'abandonne pas et se consacre corps et âme à la littérature, quitte à renoncer à fonder un foyer. Tout plutôt qu'un mariage sans amour. De 1811 à 1818, elle écrit six romans, dont les chefs-d'oeuvre Raison et Sentiments et Orgueil et Préjugés. Emportée par une maladie soudaine, elle n'assistera pas au succès de son oeuvre.
Ce portrait vivant et délicat plaira à tous les inconditionnels de la romancière et convaincra ceux qui ne la connaissent pas encore de la découvrir.
« Une drôle de bonne femme » pour Gauguin, son petit-fils ; « la cousine de Marx et la grand-mère du MLF » pour ses admirateurs de 68 ; une héroïne romantique pour André Breton : tout au long de sa courte vie, Flora Tristan (1803-1844) n'a cessé de brouiller les représentations convenues. Elle qui se voyait comme « un être à part » anticipe les sensibilités de notre époque. Née aux marges de la société, elle refuse très jeune de confiner son existence ; de cette marginalité même elle fera un étendard : la Paria, une « indignée » avant l'heure.
Cette biographie recompose l'itinéraire d'une femme intempestive qui bouscule ses contemporains en se risquant dans cette chasse gardée masculine qu'est l'espace public. Constituer la classe ouvrière, proclamer l'égalité des sexes, redéfinir le code amoureux en consacrant le principe du consentement explicite des femmes : voilà la mission qu'elle se donne. Inlassablement, elle prend la plume, s'aventure sur le terrain pour affronter le spectacle de la misère, au Pérou, en Angleterre et à travers la France, à la rencontre des prolétaires - compagnons du Tour de France, associations ouvrières, vétérans des insurrections de canuts...
Flora Tristan, enfant du siècle des prophètes et des mages romantiques, transfère sur le peuple une sacralité créée par la Révolution.
L'originalité de celle qui se voyait en apôtre de l'égalité est d'avoir placé l'identité sexuelle au coeur de la question sociale, avec une netteté et une radicalité inédites. Elle se sentait appelée à « faire sonner le 89 des femmes » pour enfin pouvoir réaliser le 89 des ouvriers, et ainsi l'émancipation du genre humain.
Qui était vraiment Christiane Singer (1943-2007), cette étoile filante qui a laissé une trace de feu dans le coeur de tous ceux qui l'ont lue ou ont pu la rencontrer ?
Était-elle une romancière originale au style flamboyant, remarquée dès son plus jeune âge pour sa virtuosité, et finalement récompensée par le prix de la Langue française de l'Académie ? Ou une essayiste nourrie des plus grands poètes et penseurs, qui a consacré sa vie à ciseler des formules inoubliables pour dire les troubles et les métamorphoses de l'âme humaine ? Peut-être au fond était-elle une actrice, usant sans retenue du magnétisme de sa personne et de sa voix pour séduire les publics les plus divers ? Ou bien une pédagogue experte en spiritualités, s'inspirant de toutes les traditions mystiques pour éveiller ses lecteurs et auditeurs au « ciel » qui est en eux ?
Audrey Fella a mené l'enquête sur ces multiples voies, retraçant le parcours biographique de Christiane Singer, scrutant chacune de ses oeuvres, cherchant surtout à percer le mystère de cette femme d'exception. Pas à pas, elle nous fait revivre le parcours tumultueux et passionné d'une vie sur le fil de la merveille.
'Ceux qui comme moi ont eu le destin de ne pas aimer selon la norme finissent par surestimer la question de l'amour. Quelqu'un de normal peut se résigner - quel mot terrible - à la chasteté, aux occasions manquées : mais chez moi la difficulté d'aimer a rendu obsessionnel le besoin d'aimer : la fonction a hypertrophié l'organe, alors que, dans mon adolescence, l'amour me semblait être une chimère inaccessible.'
La vie de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), cinéaste, romancier, théoricien de l'art et de la littérature, se déroula à la fois comme un destin tragique et comme le symbole de la plus noble des libertés. Ce courage, il le paya très cher : scandales, procès, assassinat mystérieux enfin dont il fut la victime, sur une plage d'Ostie, une nuit de novembre.
"Le besoin de manger et celui de raconter se situaient sur le même plan de primordiale nécessité. J'ai porté à l'intérieur
de moi cette impulsion violente, et j'ai écrit tout de suite, dès mon retour. Tout ce que j'avais vu et entendu, il me fallait
m'en libérer. De plus, sur le plan moral, civil et politique, raconter, témoigner était un devoir."
Primo Levi définissait ainsi sa mission de survivant.
Cette première biographie, nourrie de rencontres et d'entretiens avec ses principaux amis et proches, de textes, d'archives
et de correspondances inédites, rend justice à l'homme et à l'oeuvre.
A vingt-quatre ans, en 1943, Primo Levi est arrêté par la milice fasciste, interné dans un camp de transit, puis déporté à Auschwitz;
sa formation de chimiste - il est issu d'une famille de juifs piémontais cultivés - le fait affecter à l'usine I.G. Farben à
Monowitz-Auschwitz III. En janvier 1945, il est libéré par les Soviétiques puis ramené vers l'arrière par l'armé Rouge; il ne
retrouvera sa terre natale qu'au terme d'un périple de neuf mois.
Il écrit Si c'est un homme dès son retour à Turin. Après une diffusion quasi confidentiel, il devra attendre onze ans
pour une grande maison d'édition italienne le publie, et davantage avant d'être reconnu par le monde entier comme l'un des
grands écriain de notre temps.
L'oeuvre de Primo Levi est marquée par une double exigence : celle du témoin qui a vu l'humiliation absolue de l'homme avant
même son élimination physique ; celle du scientifique qui ne désespère pas d'exprimer un jour l'indicible. Comment survivre
au mal radical ? Comment concilier le pari de l'optimisme et la stratégie de l'Histoire ? Comment témoigner afin de que
justice soit faite ?
En 1987, malade et dépressif, Primo Levi se donne la mort, mais ses interrogations résonnent aujourd'hui avec la même intensité.
Son oeuvre est-elle le pont entre deux mondes : l'avant et l'après Auschwitz ?
Née en Suisse dans un camp de réfugiés, Myriam Anissimov, écrivain et journaliste, a consacré plusieurs années de recherche
à cette biographie.
Publié dans trente pays, Le Scaphandre et le Papillon a déjà touché des millions de lecteurs dans le monde. Le film qui en a été tiré, réalisé par Julian Schnabel et interprété par Mathieu Amalric, figure dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2007. Ce témoignage relate le combat pour la vie d'un homme coupé du monde.
Le 8 décembre 1995, brutalement, un accident vasculaire plonge Jean-Dominique Bauby dans un coma profond. Quand il en sort, toutes ses fonctions motrices sont détériorées. Atteint de ce qu'on appelle le " locked-in syndrome ", il est littéralement enfermé à l'intérieur de lui-même; il ne peut plus bouger, manger, parler ou même simplement respirer sans assistance. Dans ce corps inerte, seul un oeil bouge. Cet oeil, le gauche, c'est son lien avec le monde, avec les autres, avec la vie. Avec son oeil, il cligne une fois pour dire " oui ", deux fois pour dire " non ". Avec son oeil, il arrête l'attention de son visiteur sur les lettres de l'alphabet qu'on lui dicte et forme des mots, des phrases, des pages entières... Avec son oeil, il écrit ce livre : chaque matin pendant des semaines, il en compose et mémorise les pages avant de les dicter, puis de les corriger. Depuis la bulle de verre de son scaphandre où volent des papillons, il nous envoie ces cartes postales d'un monde que nous ne pouvons qu'imaginer, un monde où il ne reste rien qu'un esprit à l'oeuvre.
L'Algérie restera lagrande douleur d'Albert Camus. Dans cet ouvrage, Alain Vircondelet retrace lesannées de guerre qu'a vécues l'écrivain, de 1954 à son accident fatal enjanvier 1960. Le conflit y est raconté avec sa violence, ses injustices, saterreur, ses trahisons, ses silences mais aussi la vie courante d'Albert Camus,attelé à son travail d'écrivain et d'éditeur, voyageant pour alléger le poidsde sa souffrance, aimant en Don Juan désespéré plusieurs femmes à la fois,correspondant avec René Char, Louis Guilloux, Jean Sénac, Mouloud Feraoun...S'insurgeant que sacommunauté - celle des pieds-noirs - soit, comme le dit Sartre, la victimeexpiatoire du drame qui se joue devant lui, Albert Camus ne peut accepter laposition de la France et des intellectuels de l'époque.Loin de l'histoireofficielle, des idéologies et des propagandes de tous bords, un récitbouleversant puisé aux sources du vivant, au plus près de l'Algérie et deCamus.
Alain Vircondelet, originaire d'Algérie, a consacré de nombreuxtravaux à Albert Camus, dont une biographie désormais de référence (Albert Camus, fils d'Alger, Fayard, 2010). Il est reconnu comme l'un des écrivains les plus sensiblesde cette guerre auquel les plus grands témoins du conflit - Jean Daniel,Emmanuel Roblès, Mgr Duval, Tahar Djaout, Djamel Amrani, Jean Pélégri - et lacritique française - Alain Finkielkraut, Jérôme Garcin, André Brincourt, DidierDecoin, Bruno Villien... - ont rendu hommage.
1914. Mobilisation générale. La France est en guerre. Le Polonais Apollinaire fait sa demande de naturalisation pour s'engager auprès des soldats français. L'offensive allemande menace Paris et en attendant l'issue de ses démarches administratives, Apollinaire part pour Nice où résident plusieurs de ses amis. Là, il fait la connaissance d'une jeune femme qui, dès l'abord, le fascine. Elle s'appelle Louise de Coligny-Châtillon. Pour lui, elle sera Lou. Dès lors, de Nice où ils se sont rencontrés, puis de Nîmes où il a rejoint le 38e régiment d'artillerie et enfin du front où il s'est porté volontaire, Apollinaire se lance dans une folle correspondance. Ces lettres témoignent de son amour pour Lou. Un amour passionné et fulgurant.
Gérard Desarthe donne vie à cette magnifique correspondance. Avec une force et une énergie captivantes, il retranscrit avec justesse et émotion le caractère entier d'Apollinaire, passant de la confiance et de l'enthousiasme à l'abattement total. Instants magiques et troublants. Gérard Desarthe est Apollinaire !
Il ressort clairement des mémoires de ceux qui ont connu Proust, de ses lettres, des témoignages et des scènes de ses romans que la sexualité dans ce qu'elle peut avoir de vicieux l'intriguait. L'amour - jaloux, obsessionnel, sadique - est un thème profane qui traverse toute La Recherche, en contrepoint direct du thème transcendant et sacré de l'art, qui finit par triompher lorsque le narrateur conclut sa quête. En cours de route, Proust aura dépeint et analysé avec une finesse exceptionnelle les manifestations de ces amours dans les couples hétérosexuels que forment Swann et Odette, le narrateur avec Gilberte puis Albertine, Robert de Saint-Loup avec l'actrice Rachel ; dans les couples homosexuels - Mlle Vinteuil, Charlus, Charlie Morel -, ou encore bisexuels avec Saint-Loup et Morel. En retraçant les aventures et les mésaventures amoureuses du vrai Marcel, depuis le lycée Condorcet jusqu'aux banquettes du Ritz, le biographe attitré de Proust aux États-Unis montre comment ces expériences sont devenues des thèmes majeurs de ses romans. Nous y voyons Proust dans ses premières amours désastreuses, en pleine rafle de bordel ; dans un duel avec le journaliste Jean Lorrain qui avait fait allusion à son homosexualité dans la presse ; nous suivons ses flirts avec des femmes respectables et des prostituées de haut rang ; ses aventures avec des jeunes hommes de la classe des domestiques, dilapidant pour eux sa fortune. Un certain Proust s'y dessine, angoissé par des passions contradictoires, des perversions cachées derrière un style de vie socialement acceptable, rongé par des amours jalouses et inaccessibles. Un essai érudit et documenté, ponctué des réflexions intelligentes et bien souvent désabusées de Proust sur l'amour, qui relève les brillantes intrications de sa vie érotique dans l'élaboration littéraire de son oeuvre.